Fabienne MOTTO EI
Psychologue à Meyzieu

Les rapports entre Troubles Musculo-Squelettiques (TMS) et travail


Nous entendons parler de l'explosion des Troubles Musculo-Squelettiques (TMS) et de leur progression constante depuis plusieurs années. Selon un article de Santé Publique France daté de mars 2024 (Troubles Musculo-Squelettiques en France où en est-on ?), ces derniers constituent en France et dans le monde, la première cause de morbidité liée au travail et la première cause de maladies professionnelles indemnisées. En France, près de 60 % des femmes et plus de 50 % des hommes déclarent des douleurs liées aux TMS du dos ou du membre supérieur. Etant donné le nombre de salariés concernés, les enjeux sont énormes tant sur le plan de la santé publique bien sûr que sur le plan économique (coût des maladies professionnelles pour l'entreprise, risques de précarisation du salarié). Mon objectif est ici de mieux comprendre à quoi correspondent les TMS au travail, de mieux identifier ce que proposent les différentes approches cliniques du travail afin de mieux pouvoir les prévenir.

Vers une définition des TMS liés au travail

Je vais recourir ici à plusieurs définitions qui permettent d'avoir une vision plus complète de ce phénomène. En effet, le développement d'une pathologie en milieu de travail implique nécessairement le contexte dans lequel elle survient ainsi que l'activité réelle.

Pour Aptel, Gerling et Cail (2000) : "Les troubles musculo-squelettiques (TMS) recouvrent diverses pathologies dont la douleur est l'expression la plus manifeste. Elle est le plus souvent associée à une gêne fonctionnelle qui peut parfois être invalidante. Les TMS concernent tous les segments corporels permettant à l'homme de se mouvoir et de travailler, mais c'est au niveau du dos et du membre supérieur qu'ils sont les plus fréquents". Ces auteurs précisent que les TMS des membres supérieurs "résultent d'abord de l'application de contraintes biomécaniques soutenues et/ou répétées. Mais le stress et les facteurs psychosociaux majorent ce risque selon des modalités encore mal connues".

Dejours et Gernet (2016) parlent "d'atteintes inflammatoires et douloureuses des extrémités, des tendons, des articulations des membres supérieurs (main, poignet, épaule, coude), des membres inférieurs (genou, cheville) et de la colonne vertébrale". Le principal symptôme est la douleur, à laquelle s'ajoutent des raideurs, des sensations de brûlures ou de fourmillements, une mobilité réduite et une perte de force. Selon eux, les pathologies les plus fréquentes sont : le syndrome du canal carpien (main et poignet), le tendinite de la coiffe des rotateurs (épaule), l'épicondylite et l'hygroma (coude) et les lombalgies, dorsalgies, rachialgies (dos).

Coutarel (2004) considère que les TMS renvoient à une pathologie d'hypersollicitation en précisant que "la survenue de la pathologie est liée à une sollicitation excessive et renouvelée du travailleur, compte tenu des différentes contraintes de la situation de travail et de leurs interactions respectives dans l'activité".

Enfin, selon Caroly, Major, Probst et Molinié (2013), les TMS sont "une pathologie d'origine multifactorielle, où se trouvent associés des sollicitations biomécaniques (incluant des éléments tels que la répétitivité, la vitesse, la force, la posture, la durée, les vibrations, le travail au froid) et un engagement corporel et subjectif dans le travail, marqué par l'absence de marges de manoeuvre individuelles et collectives et une faible prise sur son propre environnement, du fait des conditions organisationnelles et du contexte psychosocial [Daniellou et al., 2008 ; IRSST, 2008]". Cette définition me semble rendre au mieux compte de la complexité des TMS.

Coutarel (2004) montre bien dans sa thèse les liens entre le développement de ce type de pathologie et les formes d'organisation du travail de la fin du XXème siècle. Pour lui, l'évolution du travail et des organisations a été marquée durant les dix dernières années précédant sa thèse par l'intensification du travail et de nouveaux modes d'organisation du travail la favorisant "La dégradation générale des conditions de travail dans certains secteurs d'activité, comme l'industrie, où le travail à la chaîne est fortement installé, s'accompagne également de difficultés pour la production. En effet, les fondements des organisations du travail qui s'y trouvent apparaissent en décalage avec les contraintes du travail d'une part, et les connaissances disponibles concernant le fonctionnement humain d'autre part".

L'intensification du travail est à entendre en termes d'augmentation de la charge de travail mais aussi en termes d'apparition d'interactions nouvelles et complexes entre des contraintes qui existaient ou non auparavant.

Comment comprendre l'apparition de TMS au travail ?

Nous allons voir ici différents points de vue sur l'origine des TMS en milieu de travail, celui de l'ergonomie, de la psychodynamique du travail et enfin celui de la clinique de l'activité.

L'ergonomie :

Pour Clot et Fernandez (2005), des auteurs comme F. Bourgeois et F. Hubault (2005) et comme F. Coutarel, F. Daniellou et B. Dugué (2005), incarnent dans la perspective ergonomique, le déplacement nécessaire du regard de la biomécanique du geste "vers l'organisation du travail, vers les marges de manoeuvres à ouvrir dans la conception et la gestion".  Selon Coutarel (2004), les TMS sont perçus comme une pathologie de l'organisation en lien avec la diminution des marges de manoeuvre pour les opérateurs et pour l'encadrement. Ainsi, l'existence de TMS dans un environnement de travail est vu comme un symptôme d'une organisation défaillante du travail "où les marges de manoeuvre des acteurs pour faire face à la variabilité apparaissent comme insuffisantes".  La thèse de Coutarel (2004) montre que l'augmentation des marges de manoeuvre des opérateurs et de l'encadrement est un élément clé de la prévention des TMS mais aussi pour l'efficacité de la production.

La psychodynamique du travail :

Pour la psychodynamique du travail (Dejours & Gernet, 2016), les TMS sont des pathologies somatiques qui font partie des psychopathologies du travail dites de surcharge. Selon eux, on assiste à une augmentation du nombre des pathologies somatiques. Pour mieux les comprendre, des travaux ont été amorcés à partir des apports de la psychosomatique (grille d'analyse de la psychologie clinique) à l'analyse des pathologies somatiques liées au travail (Dejours, 1996). Réciproquement, des études ont été également réalisées intégrant les incidences théoriques du rapport subjectif au travail à la clinique psychosomatique (Dejours, 2003 ; Pezé, 2002 ; De Melo e Silva, 2011).

Concernant les TMS, la psychosomatique permet de saisir que l'augmentation des contraintes de cadence et de performance amène une saturation de l'appareil psychique qui conduit à des altérations du fonctionnement psychique entraînant une vulnérabilité du corps qui se manifeste sous forme d'atteintes somatiques. Ce processus demande du temps et passe par un vécu d'insatisfaction s'exprimant d'abord par la fatigue.

Les TMS peuvent être étudiés à la lumière des effets de la contrainte répétitive sur le fonctionnement psychique. La sédentarité semble également plus nocive que les tâches manuelles, la personne étant entravée dans ses mouvements. L'agir expressif qui passe par le corps, et qui est nécessaire à la santé, est réprimé soit par la volonté du sujet soit par un déni exprimé par son ou ses interlocuteurs.

La clinique de l'activité :

Pour la clinique de l'activité, mouvement, geste et automatisme, sont trois aspects d'une même réalité psycho-physiologique. Le geste, est une unité physiologique, psychologique et sociale.

Elle considère que les TMS sont une pathologie du mouvement (Clot & Fernandez, 2005). Il y a hypersollicitation d'un geste quand le mouvement est amputé de ses possibilités de développement autrement dit "lorsqu'il ne peut être suffisamment répété dans des contextes hétérogènes". En conséquence, les TMS sont des maladies de l'hypo-socialisation du mouvement "... par défaut d'interférences entres les contextes de sa réalisation" (Simonet, 2011).

Le mouvement est le résultat de la confrontation des gestes avec d'autres gestes possibles (les siens, ceux des autres), ce qui peut permettre chez les professionnels de développer des automatismes pour faire face aux problèmes moteurs posés par leur activité. Ainsi, pour prévenir les TMS, la clinique de l'activité propose lors de ses interventions, de créer les conditions qui ouvrent sur le développement d'automatismes et enrichissent la gamme des automatismes, en organisant des confrontations aux autres gestes possibles entre professionnels au sein des collectifs de travail. Pour Simonet (2011) : "La dynamique des controverses gestuelles entre professionnels et l'organisation d'interférences inter-contextuelles sont analysées comme des méthodes indirectes favorisant la socialisation du mouvement en vue de prévenir les troubles musculo-squelettiques".

Pour finir, je cite ce passage de l'article de Clot et Fernandez (2005) que je trouve particulièrement intéressant et significatif de l'importance de l'appropriation subjective par les professionnels de leur propre geste durant les interventions des psychologues du travail "Nous avons pris l'habitude de dire et d'écrire en écho aux travaux de nos collègues ergonomes (Coutarel et al., 2005) qu'il faut préserver les marges de manoeuvres des "opérateurs". Pour ce faire, il faut sans doute aussi que ces derniers éprouvent leur capacité propre à manoeuvrer les marges." (c'est moi qui souligne). Les professionnels développent ainsi leur pouvoir d'agir sur la situation et sur eux-mêmes, et gagnent en santé.

 

Enfin, j'ai évoqué plus haut le caractère multifactoriel des TMS. Il me paraît important de préciser ici que les processus menant à l'apparition des TMS font appel à des mécanismes complexes liés aux interactions entre les différents facteurs intervenant dans leur genèse et que la nature des relations entre ces différents facteurs et l'apparition de TMS est aujourd'hui encore non élucidée (Clot & Fernandez, 2005 ; Coutarel, 2004).

Références bibliographiques

(Aptel, Gerling & Cail, 2000). Article

(Caroly, Major, Probst & Molinié, 2013). Article

(Clot & Fernandez, 2005). Article

(Coutarel, 2004). Thèse

(Dejours & Gernet, 2016). Ouvrage

(Simonet, 2011). Thèse


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