Fabienne MOTTO EI
Psychologue à Meyzieu

Les centres PsyPro, quel positionnement en psychopathologie du travail ?


Des centres PsyPro ont fait leur apparition en France en 2019 avec l'ouverture du premier centre à Lyon. Ce dernier est né du constat de deux psychiatres de l'absence de structures offrant des parcours de soins dédiés aux patients atteints de psychopathologies du travail. Ce modèle propose une hospitalisation à temps partiel de jour spécifiquement tournée sur le soin de ces pathologies particulières.  PsyPro Lyon a essaimé avec la création de 5 autres centres : Grenoble, Reims, Lille, Metz et Amiens. Je vais présenter ici à quoi correspond ce modèle de soins dans ses grandes lignes et repérer son positionnement au sein des prises en charge des psychopathologies du travail. Pour ce faire, je vais d'abord commencer par une brève histoire de la psychopathologie en France.

Brève histoire du rapport entre psychiatrie et travail

En préambule, je rappelle que la psychopathologie du travail est l’analyse psychodynamique des processus intra-psychiques (internes à l'humain) et intersubjectifs (entre les humains) mobilisés par la rencontre avec le travail (Dejours & Gernet, 2016). Elle s'intéresse aux conflits qui naissent de la rencontre entre le sujet (avec son histoire singulière, sa subjectivité propre) et une situation de travail (le réel du travail). Lors de cette confrontation, le sujet et la réalité du travail vont probablement se transformer.

Pour ces auteurs, c'est au lendemain de la seconde guerre mondiale, que la psychopathologie du travail va émerger, parallèlement au développement du taylorisme et du fordisme. Les psychiatres qui s'attachent alors à la réintégration sociale des invalides et des mutilés de guerre, commencent à s'intéresser à la fonction du travail pour la santé mentale. Quel peut être le rôle du travail dans la réadaptation à la vie sociale et professionnelle ? Quels sont les signes précurseurs des effets pathogènes du travail dans une logique de prévention ? Le Colloque de Bonneval (1946) va être le théâtre de débats contrastés sur le rôle du travail et des relations sociales dans la genèse de la maladie mentale : la maladie mentale est liée à l'individu, à la désorganisation organique des fonctions psychiques (organodynamisme défendu par H. Ey) versus la maladie mentale provient des situations vécues et des caractéristiques de relations sociales (sociogenèse, S. Follin et L. Bonnafé).

L'idée que le travail peut jouer un rôle et avoir une fonction thérapeutiques va se développer avec la mise en place de dispositifs favorisant la resocialisation et la réadaptation de malades mentaux (Tosquelles). D’autres travaux vont s’engager sur l’existence de troubles mentaux induits par le travail et ses conditions (P. Sivadon, C. Veil). Certains vont chercher à identifier des syndromes spécifiques aux contraintes de travail (dont LL Guillant). Aucun lien causal ne sera établi entre une situation sociale et des conditions de travail revêtant un caractère aliénant d’une part et une atteinte psychopathologique spécifique d’autre part. Pour une même situation de travail, les décompensations psychiques (lorsque les défenses en place ne sont plus suffisantes) varient en fonction de la structure psychique et de l’histoire du sujet. Pour Dejours et Gernet, l’échec de cette première psychopathologie tient pour partie à l’absence de prise en compte de la subjectivité et de l’apport de la psychanalyse.

C. Dejours (psychiatre, psychanalyste et professeur de la chaire de psychanalyse-santé-travail du CNAM) va à son tour contribuer à la psychopathologie du travail et initier à compter des années 1970 une nouvelle clinique du travail appelée la psychodynamique du travail. En effet, pour lui "...l'analyse des rapports entre santé mentale et travail passe en réalité par l'élucidation des processus psychiques normaux mobilisés dans le travail" (Dejours & Gernet, 2016).

Dans cette conception, la rencontre avec le travail mobilise en chacun de nous des processus psychiques. Le travail est central dans nos vies et il est une épreuve psychique génératrice de souffrance. Le travail réel renvoie aux initiatives, à l'ingéniosité mobilisées par le sujet pour travailler, pour faire face au réel du travail (les difficultés rencontrées, problèmes inédits, imprévus). Il est difficile de rendre visible le travail réel et d'y accéder.

Quel est le concept des PsyPro ?

Les centres PsyPro accueillent des personnes qui présentent des troubles psychiques liés à une activité professionnelle (burn out, bore-out, dépression, psychotraumatismes...). Ils proposent des programmes de soins intégratifs et multidimentionnels combinant approches individuelles (psychothérapies, psycho-éducation...) et approches groupales (groupes de parole, ateliers psycho-artistiques, éducation physique adaptée, relaxation...). Chaque centre a son propre projet médical (Des idées neuves dans l'accompagnement des psychopathologies du travail / PSYPRO Lille).

La prise en charge est individuelle, personnalisée. Le groupe est au centre du parcours. Une large place est faite au corps.

L'accompagnement comprend différentes étapes : des consultations médicales, des évaluations à échéance régulières et un parcours de soins (en groupes thérapeutiques couplés ou non d'un suivi individuel). Ce dernier est lui-même scindé en plusieurs temps dont la nature et la durée peuvent varier en fonction de l'indication médicale.

Les centres PsyPro sont soucieux de doter les personnes accompagnées d'outils pour les aider à retrouver de l'autonomie à leur sortie et à avoir la capacité de "s'auto-prévenir" (Des idées neuves dans l'accompagnement des psychopathologies du travail / PSYPRO Lille). Certains centres, proposent des parcours ayant pour objectif d'accompagner à la réinsertion sociale et professionnelle (PSYPRO Lyon).

Les prescripteurs peuvent être les CMP (Centres Médico-Psychologiques), les Services de prévention et de santé au travail, les médecins généralistes, des psychiatres... Les centres PsyPro sont agréés et conventionnés par la Sécurité Sociale.

Une offre de soins très intéressante

Les parcours de soins cherchent à s'adapter à chaque patient tout en intégrant différentes dimensions (verbales, corporelles) et différentes approches thérapeutiques. Et ce, tout en articulant suivi individuel et activité groupale.

La prise en compte du corps dans le parcours de soin me paraît très intéressante, aidant au centrage sur la personne et venant nourrir le travail d'élaboration psychique.

La place faite au collectif (groupes) va pour moi, quand les sujets y sont prêts, dans le sens d'un appui au développement intra-subjectif.

Le travail de l'équipe pluri-disciplinaire (médecins psychiatres, infirmiers, psychologues, art-thérapeutes...) est mis au service des personnes accompagnées.

Références bibliographiques

Billiard, I. (2002). Les pères fondateurs de la psychopathologie du travail en bute à l'énigme du travail. Cliniques Méditerranéennes, 66, 11-29.

Dejours, C., & Gernet, I. (2016). Psychopathologie du travail. Issy-les-Moulineaux, France : Elsevier Masson.


Articles similaires

Derniers articles

À la une

Qu'est-ce qu'un traumatisme psychique ?

15 Sep 2024

Malheureusement, ce terme est très utilisé aujourd'hui ! Notre monde nous confronte à de la violence traumatique à grande échelle (terrorisme, conflits armés...

À la une

Il était une fois... le conte

15 Avr 2024

Je poursuis mon fil sur les médiations thérapeutiques. Après les avoir précédemment définies et avoir abordé leur rôle en psychothérapie, j'ai ensuite écrit ...

À la une

Que sont les médiations thérapeutiques ?

15 Fév 2024

Nous entendons régulièrement parler d'ateliers de soin psychique ou de développement personnel faisant appel à des objets de médiation. De quoi s'agit-il ? C...

Catégories

Création et référencement du site par Simplébo   |   Ce site a été créé grâce à Psychologue.fr

Connexion

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'installation et l'utilisation de cookies sur votre poste, notamment à des fins d'analyse d'audience, dans le respect de notre politique de protection de votre vie privée.