Fabienne MOTTO EI
Psychologue à Meyzieu

Les rapports entre spiritualité et psychothérapie ?


Cela fait longtemps que cette question des rapports entre spiritualité et psychothérapie m'intéresse. Cet intérêt est purement phénoménologique puisqu'il est né au cours de mon parcours durant lequel j'ai pu faire l'expérience que me rapprocher de moi-même me mettait en contact avec autre chose de plus grand que moi. Le sujet est vaste et mériterait une thèse. Mon ambition ici est juste de le défricher et d'ouvrir des pistes de réflexion. Pour cela, je vais commencer par définir ces deux concepts, puis je vais étudier l'histoire de leurs liens à travers les époques et enfin aller puiser dans ma pratique de la psychothérapie ce qu'elle m'enseigne ou les questions qu'elle me fait poser.

Définitions de la psychothérapie et de la spiritualité

Afin de pouvoir réfléchir à la question, il est tout d'abord nécessaire de passer par la définition des termes qui nous intéressent ici. Je vais faire discuter plusieurs auteurs entre eux afin de cerner les définitions qui me paraissent les plus pertinentes.

Pour définir la psychothérapie, je me réfère au dictionnaire en ligne Psychomédia (http://www.psychomedia.qc.ca/lexique/definition/psychotherapie) qui propose la définition suivante : « un traitement psychologique pour un trouble mental, pour des perturbations comportementales ou pour tout autre problème entraînant une souffrance ou une détresse psychologique qui a pour but de favoriser chez le client des changements significatifs dans son fonctionnement cognitif, émotionnel ou comportemental, dans son système interpersonnel, dans sa personnalité ou dans son état de santé. »

Dans un article précédent (Qu'est-ce que la psychothérapie ? De quoi s'agit-il ?, 12 mars 2022), sur la base des travaux de E. Guisti (1995), j'ai apporté des éléments complémentaires constitutifs qui me paraissent particulièrement importants dans cette réflexion :  "En conclusion, nous pouvons dire que la psychothérapie peut se définir comme un traitement qui s’opère par le moyen de procédés psychologiques. Elle se déroule dans le cadre de la relation entre une personne qui est en souffrance, en demande de soins psychiques, et un professionnel, le thérapeute, formé à une méthode psychothérapeutique. Elle a pour visée d'enclencher un processus de changement."

Pour définir la spiritualité :

Louis-Charles Lavoie (Psychothérapie et spiritualité : de l'opposition au dialogue interactif, 2006), introduit une distinction entre religion et spiritualité que je trouve intéressante car elle permet par la suite de mieux comprendre l'évolution des rapports entre spiritualité et psychothérapie.

Selon lui, "Dans son acception la plus simple, la religion est l’expression d’une relation entre un sujet (ou un groupe de sujets) et un être surnaturel. En Occident, cet être est communément désigné sous le nom de Dieu. Dans une acception plus élargie, la religion désigne l’ensemble des croyances, rites, symboles, sentiments ou comportements se rapportant à Dieu. Il appert que ce qui constitue le cœur de la religion est son objet, c’est-à-dire Dieu, les divinités, les êtres surnaturels, les forces transcendantes et tout ce qui peut être associé à ces puissances supérieures."

La spiritualité apparaît chez lui comme une catégorie plus large que celle de la religion et plus constitutive de l'être humain "... la spiritualité est une dimension de l’esprit humain indépendante des religions, même si elle trouve en elles une partie de son expression". En opposition au monde matériel, le spirituel relève de l'esprit. Il considère que la spiritualité renvoie à la capacité de l'esprit humain "à s’interroger sur le sens de l’existence ou, encore, sur la quête de sagesse, de bonheur, de perfectionnement, d’intériorité, d’unification de soi qui anime l’humanité depuis des millénaires.". Elle comprend également une référence à une réalité ultime, pouvant se poser comme une réalité humaine "comme une transcendance qui demeure immanente".

La définition de Puchalski et al. (Puchalski C., Ferrell B., Virani R., et al. Improving the Quality of Spiritual Care as a Dimension of Palliative Care : The Report of the Consensus Conference. Journal of Palliative Medicine 2009  ; 12 : 885-904.) propose une position méta que je trouve non négligeable " l’aspect de l’humanité qui se réfère à la façon dont les individus recherchent et expriment le sens et le but et la façon dont ils expérimentent leurs connexions au moment présent, à soi, aux autres, à la nature et au sacré ».

Enfin, N. Roussiau (La spiritualité aujourd'hui, entre croyances et transcendance, 2022), pointe que parmi les nombreuses définitions de la spiritualité en psychologie, des éléments font consensus "il s'agit d'une expérience intime, objectivable et muldimensionnelle" et que l'on y retrouve les principales dimensions suivantes : "le sentiment de connexion, le rapport au sacré, la question du sens de sa (la) vie, et la transcendance".

Historique des liens entre ces deux concepts

Louis-Charles Lavoie (Psychothérapie et spiritualité : de l'opposition au dialogue interactif, 2006) retrace l'histoire des rapports entre psychothérapie et spiritualité. Il distingue quatre grandes périodes : l'opposition entre psychologie et religion, des tentatives de rapprochement, un revirement de situation et la tendance à un rapprochement.

Dans un premier temps, Freud et le courant behavioriste américain apparu aux Etats-Unis au début du XXème siècle, se sont dressés contre toute intrusion religieuse dans le champ de la psychothérapie.

Pour Freud, afin de rendre la détresse humaine supportable, le Dieu Providence serait une représentation du père humain et de la protection qu'il suppose. De même, l'expérience mystique serait une survivance des sentiments éprouvés par l'enfant lorsque son moi est indifférencié de sa mère. Ainsi, la religion entretient pour Freud un état infantile. A la fois une illusion venant réaliser les désirs humains les plus anciens et les plus forts, la religion en tant que "névrose obsessionnelle universelle" sert aussi de défense à leur encontre.

La théorie behavioriste cherche quant à elle au départ à se définir comme une science à part entière et pour cela limite son champ d'études aux comportements (seuls faits objectivement observables). Ainsi, les croyances religieuses, ne pouvant être à lors ni observées directement, ni mesurées, ne sont pas concernées. Lavoie précise que Watson "... va aussi émettre des jugements de valeur sur la religion. Selon lui, la religion est doublement antithétique avec la science : elle forge des dogmes, tel celui de l’immortalité de l’âme, qui sont invérifiables, et utilise des méthodes — la peur et l’autorité — qui sont contraires à la recherche objective."

La seconde période définie par Lavoie voit en réaction à la précédente des auteurs tels que Jung et Frankl  réinstaurer les concepts d'âme et de spiritualité dans leurs modèles théoriques respectifs et ainsi réorienter le rôle de la psychothérapie. Mais selon lui leurs travaux n'auront pas à lors un gros impact.

Yung croyait quant à lui "en la possibilité d’élaborer une psychologie « qui a une âme » et d’étudier celle-ci par des moyens scientifiques.". Jung s'oppose au matérialisme Freudien et élabore une théorie dans laquelle l’âme est composée d’images qui sont universelles. Selon Lavoie "Communes aux mythes, aux contes, aux récits religieux du monde entier, ces images, qu’il nomme archétypes, ont leur origine dans une couche de l’inconscient différente et plus profonde que celle de l’inconscient personnel : l’inconscient collectif." et les archétypes d'ordre religieux auraient une fonction importante dans le fonctionnement psychique proche de celle de l'activité religieuse. La psychothérapie spirituelle, s’orienterait alors vers l’assimilation de l’énergie et du sens des archétypes.

Frankl considère que la conception qu'à Freud de l'homme est par trop limitante. En réaction, il propose l'existence de deux inconscients, l’inconscient pulsionnel (celui de Freud) et l’inconscient spirituel, d’une tout autre nature et indépendant par rapport au précédent. Ce dernier serait mû par la volonté de sens et la volonté d'un sens ultime. Pour que cette volonté devienne plus consciente, la condition est que le sujet se sente plus libre et plus responsable pour pouvoir transcender ses conditionnements. La psychothérapie peut alors oeuvrer chez le sujet à des élargissements.

La troisième période marque par contre une attitude plus ouverte des psychothérapeutes envers la spiritualité. Selon Lavoie :  "Depuis une trentaine d’années, on assiste à un revirement sur cette question.". Cette ouverture s'explique d'après-lui par de nouvelles influences au sein du champ de la psychologie et de la psychothérapie. Il en repère quatre majeures : l'émergence d'une "troisième force" en psychologie ou courant humaniste (Rogers et Maslow), l'apparition du counseling multiculturel, la prise de conscience de la place des valeurs dans le processus thérapeutique et les travaux de recherche sur la motivation religieuse.

Enfin, la quatrième période, décrite par Lavoie vient questionner un rapprochement définitif. Selon lui, Maslow et Assagioli ont joué un rôle majeur dans la réinsertion de la dimension spirituelle en psychologie et en psychothérapie. Ils sont tous les deux des tenants de la psychologie humaniste, "Le premier a élaboré une théorie de la motivation dans laquelle l’expérience spirituelle trouve sa place; le second a élaboré le modèle le plus sophistiqué de psychosynthèse qui existe à ce jour.".

N. Roussiau (professeur de psychologie) travaille notamment sur les liens entre le développement spirituel et la santé. Je m'appuie sur ces travaux pour ajouter une cinquième période "Actuellement, au croisement de différentes disciplines de la psychologie, notamment les psychologies positives, existentielles, de la santé et de la religion, on entre de plain-pied dans une perspective qui associe la spiritualité (et-ou la religion) à certaines psychothérapies." (La spiritualité aujourd’hui, entre croyances et transcendance, 2022).

Ce que vient me dire ma pratique de la psychothérapie

Je vais tout d'abord partager mon expérience. Dans le cadre de mon propre travail psychothérapeutique, lors de séances de méditation en pleine conscience médiées par la respiration, me rapprocher de mon ressenti corporel m'a aidé à me relier à moi-même et simultanément à "autre chose" que moi, "quelque chose" de plus grand et de vivant. J'ai alors pu atteindre des instants forts de plénitude et d'accession à un éprouvé de joie intense sur fond de sensation "d'énergie" qui circule.

De même dans la relation thérapeutique, en tant que psychothérapeute, j'expérimente parfois des "moments de grâce" lors desquels le sujet vit un moment très fort de l'ordre du spirituel (qualifié comme tel par lui) et qui me met "au même endroit", avec lequel j'entre en connexion, ce qui vient amplifier le phénomène. Ces moments me donnent alors l'impression d'un partage puissant, d'une résonance, qui vient élargir l'espace et le temps. Inversement, je peux aussi de mon côté, vivre quelque chose de l'ordre d'une reliance spirituelle, qui semble (cela reste à vérifier) avoir une incidence sur le travail thérapeutique de la personne venue me consulter. Je précise que dans ma posture de psychothérapeute, en présence de la personne qui vient me consulter, je cultive le contact avec moi, la conscience de ce qui se passe en moi en relation avec elle, ainsi que la conscience de ce qui se passe dans notre relation.

Dans toutes ces expériences, c'est comme si gagner en conscience corporelle de soi venait ouvrir, faire circuler, en soi, dans la relation à l'autre et autour de soi. Jean-Marie Delacroix (Psychologue clinicien, psychothérapeute et gestalt-thérapeute) a écrit plusieurs articles que je trouve bien intéressants et qui permettent de nourrir cette réflexion (Le pouvoir de la conscience dans le processus thérapeutique, 2015 ; La posture méditative en psychothérapie, 2016).

Enfin, je terminerai mon propos sur l'incidence de la posture du thérapeute. Mon positionnement de psychothérapeute, est de me centrer sur ce que vit la personne. C'est ce qu'elle vit, sent, et ce que cela lui fait, qui sont le point de départ de son élaboration. Dans la relation thérapeutique, je m'attache à faciliter ce travail-là, en proposant les meilleures conditions possibles. Je ne m'appuie pas a priori sur un référentiel théorique prônant ou non une certaine attitude à adopter quant à la religion ou la spiritualité. Ce qui m'intéresse est de comprendre et de rejoindre mon client dans le sens qu'il y met lui-même, dans "son rapport à".

Les travaux de N. Roussiau (La spiritualité aujourd’hui, entre croyances et transcendance, 2022) me paraissent intéressants sous cet angle. Ils mettent en effet en évidence en quoi la spiritualité (souvent religieuse) peut avoir une dimension salutaire, les processus psychologiques et sociaux qui s'actualisent dans ces croyances et qui sont bénéfiques pour la santé (physique et mentale) de l'individu "Les croyances religieuses et-ou spirituelles sont des sources de sens face aux épreuves de la vie, elles peuvent participer positivement à la régulation émotionnelle, aux stratégies de coping (stratégies d’adaptation) … La relaxation, la pleine conscience, diverses formes de méditation qui peuvent se vivre dans une démarche spirituelle athée ou agnostique présentent, on le sait maintenant, des effets positifs sur la santé.".


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