Nous entendons de plus en plus parler de chamanisme, dans la presse, dans les médias... Mode ? Besoin de multiplier au sens de consommer des expériences différentes ? Ou de trouver d'autres modèles ?... A quoi peut correspondre ce phénomène ? Cet article est parti de ces questionnements. Il n'a pas vocation bien sûr dans ce cadre à faire le tour de la question mais à défricher le sujet en vue d'explorer des pistes de réflexion voire des pratiques intéressantes. Je cherche dans un premier temps à définir le chamanisme. Un petit historique me permet ensuite de mieux comprendre le flou et les fantasmes qui peuvent régner autour de ce terme. J'en arrive ensuite à chercher les passerelles entre chamanisme et psychothérapie avant de donner ma modeste impression sur l'essor d'un tel phénomène au sein de notre société.
Le chamanisme, un terme difficile à définir

Il est frappant de constater les disparités de contenus que le terme de chamanisme recouvre. A tel point qu'il est difficile de s'en faire une représentation précise. Si je me base sur les dictionnaires Le Robert et Larousse, ces définitions paraissent plus complémentaires qu'allant dans la même direction :
Le Robert : " Ensemble des croyances et des pratiques liées au pouvoir du chaman",
Larousse : "Ensemble de pratiques comportant un état de transe, propres à certaines sociétés de l'Asie centrale et de l'Arctique. Le chamanisme a été d'abord observé chez les populations sibériennes, puis le phénomène a été la base d'analyses étendues à d'autres peuples."
Selon Wikipédia, étymologiquement, il y aurait deux hypothèses. Soit le mot chamanisme proviendrait de sam, une racine altaïque signifiant "s'agiter en remuant les membres postérieurs" : " Saman est en effet un mot de la langue evenki qui signifie « danser, bondir, remuer, s'agiter ». Soit, le mot chamanisme est relié à šaman, un mot Manchu-Tungus signifiant « celui qui sait ».
Pour R. N-Hamayon (L'idée de « contact direct avec des esprits » et ses contraintes d'après l'exemple de sociétés sibériennes, 2006), anthropologue française, " Les usages des termes « chamane » et « chamanisme » sont aujourd’hui des plus divers, et leur définition fait moins que jamais l’objet d’un consensus." J-L Le Quellec (L'extension du domaine du chamanisme à l'art rupestre sud-africain, 2006), anthropologue français, confirme la difficulté à définir le chamanisme : " De façon générale, les ethnologues restent très réservés, préfèrent éviter toute généralisation, et se limitent à l’étude des sociétés qu’ils observent." Pour cet auteur, il est particulièrement important de ne pas réduire le chamanisme à une caractéristique comme la transe par exemple et il est fondamental de le contextualiser à la société dans laquelle il est pratiqué.
Dans son ouvre "Le chamanisme", M. Perrin définit le chamanisme ainsi : « Le chamanisme est l’un des grands systèmes imaginés par l’esprit humain, dans diverses régions du monde, pour donner sens aux événements et pour agir sur eux. De ce système, il convient tout d’abord de proposer une définition, quitte à la considérer comme un repère, un jalon ou un type idéal.
Le chamanisme implique une représentation particulière de la personne et du monde, il suppose une alliance spécifique entre les hommes et les « dieux », et il est contraint par une fonction, celle du chamane, qui est de prévenir tout déséquilibre et de répondre à toute infortune : l’expliquer, l’éviter ou la soulager. Le chamanisme est donc un ensemble d’idées justifiant un ensemble d’actes. On ne peut le comprendre si on ne retient pas l’usage qui en est fait et les contraintes qui en résultent. »
Wikipédia propose une définition générique basée sur une description de rôle du chaman dans une société donnée : "Le chamanisme est un système de croyances et de techniques d'interaction entre l'homme et sa tribu d'une part, et le monde intermédiaire des esprits de la nature d'autre part. La personne considérée comme l’intercesseur entre les humains et les esprits est le chaman". Je trouve cette approche intéressante car elle met l'accent sur le rôle de médiation, de mise en lien du chaman, au service de sa communauté.
Un petit détour par l'histoire va nous permettre de mieux comprendre la confusion qui réside autour de ce terme, aux confins de la religion, de la magie, de la sorcellerie, du soin...
L'histoire de la perception du chamanisme en occident

Il est intéressant de voir combien la conception du chamanisme en occident est à mettre en lien avec sa propre évolution.
R. N. Hamayon (L'idée de « contact direct avec des esprits » et ses contraintes d'après l'exemple de sociétés sibériennes, 2006) montre bien comment le concept du chamanisme est une construction occidentale en tant que phénomène interprété dans le temps, tout d'abord de la sphère de la religion puis à celle de la psychologie.
Face aux pratiques chamaniques découvertes en Sibérie au XVIIe siècle, par l'Archiprêtre Avvakum puis par des missionnaires russes orthodoxes, le chaman apparaît alors comme un personnage chargé du rituel d'une religion pouvant être diabolique. Au XVIIIe siècle, la singularité du rituel du chaman sibérien comparée au recueillement de la chrétienté nourrit la condamnation de ces pratiques d'autant plus inquiétantes qu'elles sont portées par sa communauté. Avec l'installation en Sibérie de services administratifs, scolaires et médicaux puis l'afflux de colons dans la seconde moitié du XIXe siècle, ces rituels sont peu à peu perçus davantage comme des signes de maladie mentale à la fois en lien avec le côté spectaculaire et bizarre de la conduite du chamane et son rôle thérapeutique effectif.
Le monde occidental en pleine expansion coloniale à la fin du XIXe siècle rencontre des personnages "du même genre" dans d'autres parties du monde et se trouve démuni devant tous les termes utilisés pou les qualifier ! Selon Hamayon : "La tentation naît de les remplacer par « chamane », terme qui, n’ayant pas de définition établie, pourrait les recouvrir tous ensemble, et qui aurait l’avantage de désigner un personnage exotique, absent du monde occidental – l’avantage, en somme, de fournir une distinction plus nette entre « nous » et « eux », entre nos lumières et leurs ténèbres.". Ceci n'a pas aidé à la clarification du terme chamane et du néologisme de chamanisme apparu par la suite !
Hamayon explique qu'ensuite dans la première moitié du XXe siècle, la sociologie a eu du mal à saisir le chamanisme en tant que système de croyances religieux au moment même où la psychanalyse commence à gagner en influence. Ceci permet de comprendre selon elle qu'à cette époque la notion de chamanisme soit reliée "... à celle de pathologie mentale ou nerveuse et sa fonction à la thérapeutique.".
Enfin, selon elle, M. Eliade, rompt avec cette tendance, en présentant le chamane comme un malade guéri qui s'inscrit dans une expérience religieuse à l'état brut (1951). Elle précise : "Brassant une documentation considérable, il jette les bases d’une conception mystique du chamanisme (qui est à l’origine de celle en vogue de nos jours), tout en la réduisant à une technique d’« extase » ou de « transe », plus ou moins compatible avec toutes sortes de croyances.". Avec la parution de son livre aux USA en 1964, l'influence d'Eliade va être considérable dans l'avènement d'une nouvelle perception du chamanisme (néo-chamanisme). D'autres auteurs vont contribuer à ce renversement comme C. Castaneda. Le chamanisme prend alors une nouvelle aura, d'un modèle de philosophie écologiste (New Age) en passant par un modèle de créativité artistique (théories de la "performance") jusqu'à un modèle post-moderne de développement personnel.
L. Merli (Udgan, la quête du son. L'initiation chamanique d'une Française en Mongolie, 2005) confirme : " De la contre-culture des années soixante-dix à l’actuelle déferlante New Age du nouvel âge du Verseau, avec les succès de Carlos Castañeda et de Michael Harner, le chamanisme s’est popularisé ; non plus comme un système de représentations et de pratiques indigènes à étudier (anthropologues) ou à combattre (missionnaires, régime soviétique), mais comme un système originel et universel, adapté à notre vingt-et-unième siècle, voire comme une pratique à expérimenter.".
Quels ponts possibles entre chamanisme et psychothérapie ?

En quoi les expériences chamaniques peuvent apporter à la psychothérapie occidentale ? Et inversement ?
Elle invite les thérapeutes à s'ouvrir à une "conscience chamanique" qu'elle définit comme "l'attention particulière nous invitant à retrouver notre place dans la nature, à nous sentir corporellement interconnecté avec tout ce qui vit. C'est aussi une façon de nous faire prendre conscience que nous ne sommes pas là pour dominer la nature mais que nous faisons, intrinsèquement partie d'elle".
Enfin, elle considère que le chamanisme peut aussi nous aider en nous offrant d'autres représentations des mondes invisibles. Selon elle : "Il nous offre des modes originaux de réconciliation avec nos démons, avec les "monstres" que nous pouvons rencontrer, qui ne sont rien d'autres que des parties de nous-mêmes.".
A l'issue de ce travail, il m'apparaît plus clairement que la fonction de médiateur du chamane entre monde visible et invisible peut être comparée à celle du psychothérapeute qui facilite le passage entre le monde conscient et ce qui ne l'est pas encore chez son client. Les thérapeutiques utilisées peuvent aussi s'articuler de façon positive.
Pour conclure
Après ce petit tour d'horizons, je pense que notre époque actuelle peut vraiment constituer un terreau permettant de comprendre l’engouement pour le chamanisme : besoin de sens, besoin de sortir du matérialisme consumériste, besoin de se relier à la nature en la respectant, à l'autre dans une société occidentale française qui pousse à l’individualisme, besoin de spiritualité dépassant les dogmatismes religieux... comme un gros besoin de relience, à soi, à son corps, à l'autre, à la nature, à la recherche d'un sens profond.