Fabienne MOTTO EI
Psychologue à Meyzieu
Fabienne MOTTO EI
Psychologue à Meyzieu

Le psychodrame, une invention précieuse


Nous entendons parler de psychodrame thérapeutique, analytique, éducatif, diagnostique, pédagogique...  Dans quel(s) champ(s) se situe-ton ? Thérapie ? Formation ?... Cet article cherche à faire le clair sur l'origine de cette pratique, à en comprendre les fondements et à en préciser les contours. En France, deux courants ont nourri des pratiques différentes du psychodrame essentiellement liées à leur cadre théorique.

Le psychodrame selon Moréno

Jacob Levy Moreno (1889-1974), psychiatre, sociologue et philosophe, est le fondateur du psychodrame. A Vienne en 1921, il met en place le Théâtre impromptu, et introduit ainsi une forme de théâtre thérapeutique. En 1925, J.L. Moreno émigre aux USA et développe le psychodrame ainsi que d'autres dispositifs d'action. A partir des années 1950, son épouse Zerka Moreno (1917-2016), fait connaître cette méthode dans le monde. En 1964, elle organise avec Anne Ancelin-Schützenberger à Paris, le premier congrès mondial du psychodrame. Selon S. Pitarque (Une dramathérapie psychanalytique, 2017), Moreno a été "le premier à avoir utilisé les outils du théâtre à des fins autres qu'artistiques : de développement personnel (théâtre spontané), thérapeutiques (psychodrame), groupales (sociodrame) et pédagogiques (jeux de rôle)".

Selon N. Amar (Spécificité du psychodrame : de ses origines à son originalité, 2005), au début de sa carrière, Moreno s'est intéressé aux personnes qui rencontraient des problèmes sociaux et économiques (réadaptation sociale, réinsertion des personnes déplacées) "Il s'est intéressé à l'individu au sein du groupe, au sujet confronté à son environnement (sociométrie)."

Pour lui, l'être humain est conçu comme étant un «être relationnel, dont la spontanéité et la créativité forment les piliers lui donnant la capacité d'actualiser les interactions et les rôles intériorisés sur lesquels il s'appuie» (The human being : J.L. Moreno's vision in psychodrama. International Journal of Psychotherapy (European Association for Psychotherapy), Apter, 2003, p. 36). Le principe de la pratique du psychodrame proprement dite est de mettre la personne en action et ainsi de mettre sa "psyché" en mouvement. La psychothérapie humaniste proposée par Moreno via le psychodrame cherche à dénouer des situations relationnelles problématiques en les mettant en scène, en les traversant (working trhough), pour remettre de la spontanéité et de la créativité dans certains de nos rôles figés.

Pour N. Amar (2005), J.L. Moreno était habité par une quête exigeante. Il définissait le psychodrame comme une "science qui explore la vérité par des moyens dramatiques". Il mettait l'effet cathartique au centre de sa pratique. Pour N. Amar : "La catharsis consiste pour lui en la prise de conscience et la mise en marche d'un état psycho-affectif revécu par et dans le jeu dramatique qui en rendra compte. Il s'agit surtout d'entrainer un effet d'action, une décharge économique libératrice". Ainsi, la spontanéité du jeu au sein d'une situation théâtrale ouverte à l'improvisation peut provoquer une abréaction des affects (brusque libération émotionnelle, extériorisation d'un refoulement). Le sujet via le jeu peut vivre des émotions, prendre conscience de ses sentiments et faire des liens avec son histoire.

La pratique du psychodrame a été codifiée par Moreno dont je donne ici les caractéristiques principales (Wikipédia). Elle suppose à l'origine une psychothérapie qui s'effectue en groupe : un ou deux psychodramatiste(s) formé(s) et un groupe de participants. Il est cependant possible de réaliser des séances individuelles, le patient utilise alors des objets pour représenter les diverses personnes ou aspects de la situation abordée. Le patient doit jouer dans l'ici et maintenant la situation qui le préoccupe. Deux espaces sont systématiquement présents lors d'une séance : un lieu de parole avec le thérapeute et un lieu "scène" où se joue la situation. Le psychodrame présente trois ou quatre phases : l'échauffement (mise en condition des membres du groupe et choix du protagoniste qui va mettre en action une situation significative pour lui), l'action (le protagoniste met en place les divers éléments de la situation qu'il désire mettre en scène, choisit les membres du groupe (ou les objets) pour figurer les personnes significatives de la situation, le dialogue devient réel, cette scène débouche sur une scène antérieure, en revenant peu à peu à la scène première, le changement souhaité se réalise), le partage (temps très important, avec chaque membre du groupe sur ce qui a résonné de sa propre expérience de vie, le psychodramatiste est garant qu'aucune interprétation ne soit faite), le processing (phase ajoutée en formation de psychodramatiste, sur l'analyse de divers processus).

S. Pitarque (2017) précise que suite au congrès de 1964, le psychodrame morénien s'est peu répandu en France et est presque totalement absent des institutions même si subsiste une pratique libérale qui pourrait retrouver un développement. Il a été en fait supplanté par d'autres formes de psychodrame développées par les psychanalystes.

Le psychodrame psychanalytique

Commençons par un peu d'histoire :

Certains psychanalystes se sont appuyés sur la technique du psychodrame morénien pour créer de nouveaux dispositifs et théoriser ce qui est devenu le psychodrame psychanalytique. Selon S. Pitarque (2017), les premières expériences se sont développées à partir de la fin des années 1940 tout d'abord auprès des adolescents et de personnes psychotiques puis auprès de tous les publics. Elle précise qu'"Aujourd'hui de nombreuses institutions psychiatriques comptent au moins un groupe de psychodrame psychanalytique".

La cure analytique telle qu'elle a été pensée à l'origine s'appliquait aux adultes. Elle a dû se réaménager face à de nouveaux publics. C'est ainsi que le dessin, le jeu, ont été introduits dans le travail psychothérapeutique avec les enfants, les adolescents. Pour Selz et Fognini (Jeux et enjeux au psychodrame analytique, 2014, p. 8), c'est également dans cet esprit que la dramatisation du psychodrame leur a été proposée "en vue de libérer l'expression des affects via la mise en mouvement du corps dans le jeu scénique". L'extension de ce nouveau dispositif s'est ensuite faite aux adultes dans les cas d'impasses thérapeutiques ou de contre-indications de cures analytiques.

Comment définir le psychodrame psychanalytique ?

Selon Kaswin-Bonnefond, Kukucka-Bizos et Baranes (Le psychodrame analytique, pour quoi, pour qui ?, 2005) : "La technique du psychodrame implique la mise en tension des registres corporel et langagier et concerne des patients dont les capacités de représentation et les capacités autoréflexives sont affectées et rendent le recours à un dispositif analytique divan-fauteuil ou face à face incertain".

Selz et Fognini (2014) précisent qu'il "associe la méthode analytique et un dispositif particulier qui le différencie de la cure type. Les références psychanalytiques portent sur le transfert comme élément moteur de la cure et sur la mobilisation des processus de défense. Les apports sont le jeu, la mobilisation du corps et la pluralité des thérapeutes."

Enfin, conçu comme un aménagement du cadre analytique "Le psychodrame psychanalytique est une approche qui, par sa "dramatisation" (en grec, drama, fait référence au théâtre), son utilisation du jeu d'improvisation, sa mise en mouvement du corps permet l'élucidation et le traitement de certains processus psychiques" (Société belge psychanalytique en ligne).

On distingue trois grands types de dispositifs : le psychodrame individuel (une équipe de psychodramatistes travaille avec un seul participant), le psychodrame en groupe (chaque participant vient travailler sa problématique individuelle au sein d'un groupe), le psychodrame de groupe au sein duquel s'explorent les processus psychiques groupaux. Voyons maintenant quelles sont les caractéristiques de la pratique du psychodrame analytique.

Quel est son déroulement ?

L'équipe de psychodramatistes est composée d'un directeur de jeu et de thérapeutes quelque soit le nombre de patients.

Le psychodrame psychanalytique  comprend différents moments :

- temps d'échanges verbaux de construction du jeu entre le ou les patients et le meneur de jeu. Choix par le patient, de la scène à jouer et de ses protagonistes parmi les co-thérapeutes,

- temps de jeu des scènes improvisées,

- et à nouveau un temps facultatif de reprise élaborative dans un échange verbal avec le directeur de jeu.

Le lieu est partagé entre un espace de parole et un espace de jeu.

Le jeu est basé sur le "faire semblant", le "comme si" et il y a interdiction de se toucher.

Le meneur de jeu peut intervenir sur le jeu en y introduisant des acteurs ou en mettant fin à un jeu si celui semble nécessaire (lorsqu'il se passe quelque chose qui lui paraît signifiant : lapsus, sortie de rôle, rires ou larmes, moment d'appropriation subjective...) pour laisser du temps à un commentaire du patient.

Il peut y avoir des variations sur le cadre selon ce qui semble le plus pertinent selon les patients (Société Psychanalytique de Paris en ligne) : psychodrame en groupe, psychodrame familial, destiné à des personnes atteintes d'une affection somatique, de groupe. La fréquence des séances est généralement hebdomadaire, les horaires sont stables.

Le traitement se déroule sur une durée qui peut varier de quelques mois à plusieurs années.

Enfin, quelles sont ses indications ? (Kaswin-Bonnefond, Kukucka-Bizos et Baranes, 2005)

Elles sont multiples. Le psychodrame analytique s'adresse aussi bien aux enfants, aux adolescents qu'aux adultes "... ainsi qu'à des psychopathologies très variées, psychotiques ou autres".

En effet, il peut être proposé surtout aux personnes qui ont du mal à mettre en sens, à rêver, à mettre des mots sur leurs expériences internes "On proposera de ce fait le psychodrame analytique lorsqu'il apparaît que les échanges se maintiennent davantage au niveau des modes primitifs de communication traduisant des carences de symbolisation souvent liées à des défaillances structurelles ou conjoncturelles de l'environnement. La problématique dedans-dehors et l'altérité restent alors à construire, et l'objectif du traitement sera de permettre l'intégration de clivages et de dénis psychiques à travers une réactualisation des communications infaverbales et des échanges primitifs et précoces".

Les apports du psychodrame analytique

Selon G. Bayle (Société Psychanalytique de Paris en ligne, 2014), le but principal du théâtre de Moreno est de permettre la figuration d'expressions psychiques inexprimées "Mais les expressions cathartiques laissent les patients face à des impacts dépressifs ou traumatiques dont le devenir conscient n'implique pas de remaniements inconscients allant dans le sens d'un supplément de symbolisation et surtout de subjectivation, d'où l'intérêt d'une cure psychodramatique analytique dont les buts vont au-delà du « décoincement » de l'affect".

Lors du psychodrame, à partir de la mise en scène de comportements dans le cadre du jeu, le sujet va pouvoir prendre conscience de son monde interne (ses sensations, émotions, conflits, désirs...). Le psychodrame peut permettre d'accroître la perméabilité entre le conscient et l'inconscient (liens intra-psychiques) et entre le dedans et le dehors (liens inter-subjectifs).

N. Amar (2005) propose plusieurs particularités du travail spécifique du psychodrame :

- le transfert (il se difracte sur le meneur de jeu et les différents thérapeutes),

- la temporalité (deux différentes s'inter-pénètrent, celle de la séance, temps régulier, et celle imprévisible de la scène),

- le mode de conjugaison inconditionnel, celui de l'imaginaire est sollicité, qui est celui du mode ludique infantile,

- la symbolisation : le précédent ouvrant la voie à la capacité de symbolisation.

En effet, le psychodrame est un lieu où s'élabore un espace potentiel au sens de Winnicott : le psychodrame permet un espace intermédiaire entre le monde intérieur de l'enfant et le monde extérieur dans lequel il va déployer un jeu fantasmatique. Jouer un rôle est une activité particulière qui introduit une "aire intermédiaire" entre le dedans et le dehors et entre l'analyste et l'analysant. Jouer un rôle facilite la spontanéité du sujet.

Selon Kaswin-Bonnefond, Kukucka-Bizos et Baranes (Le psychodrame analytique, pour quoi, pour qui ?, 2005) : "Ainsi va se contextualiser une aire de jeu qui tout en se constituant, ouvre à des symbolisations plurielles à plusieurs niveaux : primaires, corporels, secondaires. De ce fait, dans cet espace transitionnel, plusieurs topiques s'imbriquent concernant le patient, les participants, les différentes entités groupales... [...] ...L'objectif est de rendre accessible une articulation des représentations de chose et des représentations de mot à travers une psychisation de l'excitation mise en présentation dans la situation psychodramatique".

En guise d'illustration, dans un article de 2014 (Place et apports thérapeutiques du psychodrame psychanalytique individuel dans une cure institutionnelle d'un enfant psychotique. Gabriel : du conflit des origines à l'émergence d'une subjectivité, 2014), A. Blanc et E. Forveille, montrent la place et les apports du psychodrame psychanalytique individuel dans une cure institutionnelle d'un enfant psychotique. Ce dernier a pu déployer une vie psychique imaginaire et fantasmatique "sans être inhibée et sclérosée par les interdits et sans non plus le déborder d'excitations non contenues". Selon eux, via le psychodrame, "... l'affect qui ne peut se lier, se dire, ou même exister sans déborder, peut se figurer, se projeter, être porté par un autre, par un mouvement, et ensuite se penser, se lier à une représentation interne, en un mot : s'approprier".

En guise de résumé (Société belge psychanalytique en ligne) : "Par la mise en jeu du corps, de l'imaginaire et du "faire-semblant", et par la présence des psychodramatistes, cette approche favorise chez le patient une meilleure répartition de la charge affective et des mouvements internes. La liaison entre les mots, le corps et le jeu peut amener au(x) sujet(s) de nouvelles traces durables".

En conclusion

La pratique du psychodrame me paraît particulièrement intéressante en permettant de débloquer des situations et de contribuer à un travail de subjectivation des sujets amenés dans ce cadre via le groupe à faire des liens en eux-mêmes. Elle me semble cependant lourde à mettre en pratique : temps, nombre de thérapeutes, lieu adapté, et elle suppose également une solide formation en précisant dans quel cadre théorique l'on s'inscrit. Quoiqu'il en soit, elle m'ouvre des perspectives en stimulant ma créativité sur des techniques de jeu de rôles à développer dans le cadre de mon exercice libéral de nature à relancer les processus psychiques de symbolisation.


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