De la même façon que les outils de médiations inanimés (jouets, contes, marionnettes, etc...) peuvent être utilisés dans divers cadres (coaching, développement personnel, activités éducatives, thérapeutiques...), l'animal (créature vivante) peut aussi être considéré comme un "outil de médiation". Après une définition de la médiation animale, je revisite l'utilisation du recours à l'animal dans la thérapie au cours de l'histoire. J'interroge ensuite les bienfaits de la relation entre l'homme et l'animal avant de focaliser sur le concept thérapeutique et les spécificités de la thérapie assistée par l'animal.
La médiation animale : un terme générique à préciser
Il n'est pas simple de situer avec rigueur et précision le vocable de "médiation animale". En effet, le recours à la médiation animale renvoie à de multiples pratiques portant des appellations diverses : zoothérapie, équithérapie, thérapie avec le cheval, thérapie assistée par l'animal, activités assistées par l'animal, activités associant l'animal, l'équicie... à quoi correspondent tous ces termes ? de quel soin s'agit-il ? qui fait quoi ? De plus, il n'est pas rare que le même terme soit défini de façon différente selon le praticien.
S. Belair (La médiation animale ou la clinique du lien, 2017) précise qu'aucune règlementation n'encadre cette pratique. La filière est aujourd'hui en cours de professionnalisation. Selon elle "elle reste, pour la plupart des praticiens, une spécialisation ajoutée à leur métier (psychologue, infirmier, travailleur social, médecin, etc.), la présence de l’animal constituant une « plus-value » dans leur pratique."
Afin de clarifier ce terme, je reprends ici plusieurs définitions qui permettent d'en cerner le principe même.
Pour l'association Résilienfance, la médiation animale est "une relation d’aide à visée préventive ou thérapeutique dans laquelle un professionnel qualifié, également concerné par les humains et les animaux, introduit un animal d’accordage* auprès d’un bénéficiaire. Cette relation, au moins triangulaire, vise la compréhension et la recherche des interactions accordées* dans un cadre défini au sein d’un projet. La médiation animale est donc un domaine en soi, celui des interactions Homme-Animal, au bénéfice des deux (chacun apporte ses ressources à l’autre)" (Résilienfance et al. 18 octobre 2014). *Accordage/interactions accordées : ajustement des comportements, des émotions, des affects et des rythmes d’actions. (Attunement D. Stern 1982 – 1985).
Pour la fondation A et P Sommer, la médiation animale est "une méthode d’intervention basée sur les liens bienfaisants entre les animaux et les humains, à des fins préventives, éducatives ou thérapeutiques. La qualité de l’apport de l’animal dans un programme de prise en charge repose sur la pertinence des objectifs et des moyens permettant d’organiser, de mettre en œuvre et d’évaluer l’action entreprise."
L'article de Christel Elies (Prendre-soin grâce à la médiation animale : le cheval porteur d'espoir, 2022) contribue nettement à clarifier cette notion. Pour elle, " Le principe général de cette thérapeutique est d’introduire un animal dans le milieu du soin, auprès de personnes vulnérables, afin d’instaurer un tiers dans une relation duelle (= médiation) pour obtenir des bénéfices thérapeutiques directement liés aux spécificités de l’animal, et qui ne pourraient pas – ou très difficilement – être obtenus autrement".
Elle se réfère à la définition de Pet Partners (s.d.) qu'elle traduit : « interventions structurées et centrées sur des objectifs précis, intégrant intentionnellement des animaux dans le secteur de la santé, de l'éducation, et des services sociaux à des fins de bénéfices thérapeutiques et d'amélioration de la santé et du bien-être. ». Elle précise que selon leurs objectifs et leurs modalités, ces interventions se déclinent selon trois approches : la thérapie assistée (ou facilitée) par l’animal (TFA), les activités assistées par l’animal et l’éducation assistée par l’animal.
Nous voyons bien ici que la médiation animale peut être utilisée dans des domaines différents par des praticiens différents et à des fins différentes. C'est la thérapie facilitée ou médiée par l'animal qui m'intéresse plus spécifiquement dans le cadre de cet article.
Petite histoire du recours à l'animal en thérapie
C'est à Geel en Belgique au IXème que l'on retrouve les premières traces de recours à l'animal dans le soin à des personnes en souffrance psychique (Aresntein et Lessard, 2009). Selon le site l'Association Française de Thérapie Assistée par l'Animal, "Dans les établissements de santé, les oiseaux étaient confiés à des patients en convalescence. Ce sont eux qui devaient les nourrir et prendre soin d’eux".
En 1796, l'anglais William Tuke (1732-1822), philanthrope et humaniste, fonde l’Institut « York Retreat ». Selon F. Beiger (Eduquer avec les animaux, 2014), "Il confia des lapins et des volailles aux malades mentaux pour leur entretien journalier afin de réduire au minimum le désordre des patients. Les malades se sont immédiatement sentis responsables de ces animaux et d’eux-mêmes par la même occasion". Selon Elies (2022) : "Nombreuses expériences ont suivi et se sont intensifiées au XXe siècle, notamment en période de guerre et post-guerre, auprès de soldats blessés ou traumatisés".
La zoothérapie (au sens de la thérapie facilitée par l'animal) naît aux Etats-unis dans les années 1950. Boris Levinson, pédopsychiatre américain, s'occupait alors d'enfants en souffrance psychique. Il va faire l'expérience fortuite de l'effet bénéfique de l'interaction entre son chien Jingle et un enfant quasiment autiste John. Selon Elies (2022) : "Lorsque le chien renifla et lécha l’enfant, celui-ci sortit de son repli. Face à cette avancée, le psychiatre laissa son chien participer aux consultations, au cours desquelles l’enfant noua une relation avec l’animal. Le thérapeute put progressivement prendre place dans cette relation et ainsi débuta la « Pet-Oriented Child Psychotherapy » (Levinson, 1962)".
En France, dans les années 1970, Ange Condoret est vétérinaire et s'intéresse également aux enfants ayant des troubles du langage. Ses travaux s'inscrivent dans les pas de Levinson et conduisent aux mêmes conclusions attestant de l'effet bénéfique de la présence de l’animal sur les capacités de communication et l’interaction sociale des enfants (Faure, 2018).
Depuis, les travaux sur les effets positifs des animaux sur l'homme sain ou malade se sont multipliés et la thérapie facilitée par l’animal s’est progressivement étendue jusqu’en Europe.
Les bienfaits des interactions entre l'homme et l'animal
Elies (Prendre soin grâce à la médiation animale : le cheval porteur d'espoir, 2022) propose une revue de littérature des travaux témoignant des bénéfices provenant des interactions" homme-animal". Ils sont d'ordre varié.
Elle indique tout d'abord des effets positifs sur le plan physiologique : système cardiovasculaire (baisse du stress, via la diminution de la pression artérielle et de la fréquence cardiaque), système endocrinologique (réduction de la douleur et création d'une sensation d'euphorie, production de lait et de lien parental, stimulation etc...).
Puis, elle souligne des effets psychoaffectifs. Une relation d'attachement s'instaure entre l'être humain et l'animal dont il s'occupe. L’animal de compagnie peut apparaître comme une source d'attention et d’affection inépuisable offrant à l’humain le sentiment d’un amour inconditionnel infini. De par ses caractéristiques d'être vivant dénué de jugement négatif, l'animal devient un soutien émotionnel apportant une sécurité affective.
Les bénéfices peuvent aussi être d'ordre social en favorisant le communication avec un être vivant luttant ainsi contre la solitude et l'isolement potentiels. Mais aussi, en favorisant les relations interpersonnelles, en devenant l'objet d'une attention conjointe et d'interactions plus faciles (Servais, 2007 ; Beetz et al., 2012).
Enfin, des effets positifs sur le plan psychologique. La présence d'un animal de compagnie calme est apaisante et anxiolytique, en nous donnant l'information de l'absence de danger (Servais, 2007). Selon Elies : "Le simple fait de caresser un animal pourrait faire baisser l’anxiété (état), en quelques minutes (Hoffman et al., 2009 ; Shiloh et al., 2003).". Elle précise que non seulement l'animal calme apporte du bien-être à l'être humain mais également qu'en sollicitant ses capacités d'empathie, "il diminue les tensions et l'agressivité".
Enfin, Elies compare les effets de l'animal sur l'être humain à celui d'un antidépresseur : en jouant un rôle dans l'acceptation et la régulation émotionnelle (Burger et al., 2011), en donnant confiance et en responsabilisant la personne qui s'occupe de l'animal qui dépend de lui, en réduisant la tristesse et en augmentant la jovialité (Ellsworth et al., 2013), en incitant "à la régression dans son attitude décomplexée.".
Cadre et concept thérapeutiques de la thérapie facilitée par l'animal
Selon Elies (2022), "La thérapie facilitée par l’animal se définit comme une « intervention thérapeutique centrée sur des objectifs précis, planifiée, structurée, documentée et dirigée par des professionnels de santé et de service à la personne dans le cadre de leur profession. Une grande variété de disciplines et de praticiens peut y avoir recours : des médecins, des ergothérapeutes, des physiothérapeutes, des spécialistes de loisirs thérapeutiques, des infirmières, des travailleurs sociaux, des orthophonistes ou des professionnels de la santé mentale. » (Pet Partners, s.d., traduction personnelle)".
Une relation triangulaire s'instaure entre le professionnel, le bénéficiaire et l’animal. Le professionnel doit bien sûr avoir été formé pour soigner les personnes vulnérables dont il a la charge et il doit avoir des connaissances sur le comportement animal et les interactions spécifiques.
La thérapie facilitée par l'animal peut concerner des enfants, des adolescents, des adultes ou encore des personnes âgées. Elle s'adresse à de multiples situations cliniques. Pour Elies (2022) : "pathologies somatiques, troubles psychiatriques, pathologies neurodégénératives et démences, troubles de la communication et du langage, troubles moteurs et praxiques, troubles psychiques et thymiques, carences affectives, douleurs et fin de vie."
L'animal médiateur (le plus souvent un animal domestique), va être éduqué en fonction du rôle thérapeutique auquel il est destiné et l'animal est choisi en fonction de ce que l'on cherche.
Pour les psychologues, psychothérapeute, plus spécifiquement, l'animal peut être "utilisé" pour instaurer une aire transitionnelle au sens de Winnicott, i-e une aire intermédiaire d'expérience qui se situe entre ce qui est subjectif et ce qui est objectivement perçu (la réalité effective ou partagée). Cette aire intermédiaire génère des processus transitionnels entre réalité extérieure et réalité interne (mise en représentation visible puis mise en images, en mots, de ressentis intérieurs). S. Belair (La médiation animale ou la clinique du lien, 2017) propose à ses patients une "« aire transitionnelle », un cadre thérapeutique où l’animal, « sujet » d’attention conjointe, « sujet transitionnel [30] » est présent et permet le jeu, la créativité." Dans cette perspective, l’animal peut être un support de projection et d’identification.
Du point de vue psychanalytique (Manuel des médiations thérapeutiques, Brun, Chouvier & Roussillon, 2019), la médiation animale peut permettre de mettre en place une forme de "communication primitive" qui peut relancer des premières formes d'activité de symbolisation. En effet, le travail clinique peut être vu comme une tentative de relance du jeu d’échoïsation qui a été historiquement en échec dans la relation entre l'enfant et l'entourage proche "Il s’agit alors pour le clinicien et les médiations qu’il utilise, de trouver une modalité pour échoïser et relancer les traces des mouvements premiers qui n’ont pas reçu les accordages nécessaires."
R. Roussillon précise en quoi l'animal peut représenter tout ou partie des caractéristiques de la fonction du médium malléable nécessaire aux processus de symbolisation « L’animal, et en particulier les animaux domestiques, n’a pas de saute d’humeur quand il n’est pas « névrosé » par son maître, il est constant, prévisible, fidèle autant de propriétés qui participent à des aspects que nous avons relevés dans notre analyse de la fonction médium malléable. Mais il a aussi sa consistance propre, sa manière de ne pas être malléable, sa résistance aux désirs de l’humain, autant de spécificités dans lesquelles sa nature propre se fait reconnaître et se manifeste. Là encore il transitionnalise les rapports sociaux, en offrant un mode de présence intermédiaire entre le médium malléable et le non-malléable de la rencontre avec l’altérité ».
L'animal induit une relation particulière. Il est un être vivant non jugeant, spontané. Il convoque le registre de la communication non verbale et de la sensorialité (regard, toucher, odorat, mouvement). Il favorise la relation intime. Il suscite des émotions. Il ouvre sur des stimulations multiples par son interactivité (capacités d'attention, d'observation, de concentration).
Enfin, S. Belair (2017), met en avant les effets bénéfiques sur les patients des activités de soin prodiguées aux animaux (nourrissage, nettoyage, caresses, etc...) via le sociologue Jérôme Michalon "... la reconnaissance de la personnalité des animaux est l'occasion pour le bénéficiaire de reconnaître sa propre personnalité, et de la respecter, d'en prendre soin ... [...] ... à travers la subjectivation des animaux, les praticiens travaillent à embrayer un processus de subjectivation chez les bénéficiaires".