En tant que psychopraticienne, j'assiste en séance de psychothérapie à des moments de changement, des moments de transformation, où la personne suivie fait des liens en elle-même. Elle se met en connexion avec des traces de son expérience, avec de nouvelles sensations, de nouveaux ressentis, ou encore elle met en relation une sensation avec une image ou avec des mots... Histoires de tissages internes, de liaisons intimes, au plus profond de soi, qui demandent des conditions très particulières, propres à l'espace psychothérapeutique. Je me suis toujours intéressée à la façon dont cela pouvait se produire. J'ai lu récemment des travaux qui apportent des éclairages que je trouve pertinents et que j'avais envie de vous partager.
L'éclairage des travaux de Wilma BUCCI
A la lumière de mon expérience de la pratique de la psychothérapie, je précise tout d'abord ce que j'entends par "mouvement thérapeutique". C'est pour moi un moment existentiel et physiologique, où un ressenti, une émotion, est mis en images, en mots, et est accepté par la personne comme une partie d'elle-même. Ce processus aboutit à une transformation tangible et pérenne de la personne, par micro-tissages successifs. La présence du thérapeute est ici décisive pour permettre à la personne qui est prête à s'engager dans ce processus, d'être davantage à l'écoute d'elle-même, de prendre contact avec les traces corporelles de son expérience interne et d'en rester suffisamment proche, pour que des connexions de mise en sens se produisent.
C'est chargée de ces expériences dans la pratique de mon métier que les travaux de Wilma Bucci ont pris tout leur sens. Wilma Bucci est une chercheuse américaine en sciences cognitives et psychanalyste. En 1997, elle a conceptualisé un modèle permettant de mieux comprendre le processus d'élaboration (appelé processus référentiel). Elle s'est intéressée à la construction de la "signification émotionnelle", la liaison entre émotion, pensée et mot.
Selon elle, le sujet peut élaborer des événements problématiques à condition de "s'approcher" verbalement suffisamment des "schèmes émotionnels" à la base de ces événements. Lorsqu'il parvient à relier la composante émotionnelle de faits vécus à des mots symbolisant efficacement cette expérience, la transformation de ces faits en mots est source d'élaboration.
Dans son modèle théorique, la liaison entre émotions, pensée et mots se déploie chez le tout petit hors du code symbolique verbal, selon un processus sub-symbolique toujours impliqué dans le traitement des informations internes et externes. L'élaboration de l'information chez l'enfant se fait donc en grande partie suivant des processus sub-symboliques et des codes symboliques non verbaux (par exemple des images, voir Kosslyn, 1983).
Selon elle, toutes les expériences émotionnelles, y compris les composantes sensorielles, motrices et corporelles, qui constituent le noyau des schèmes émotionnels, peuvent être connectées au code verbal. Cependant, les composantes sub-symboliques des schèmes émotionnels, précédemment évoquées, ne peuvent pas être directement connectées aux mots. Elles ne le sont qu’à travers des références aux objets du schème, aux images des personnes que le sujet apprécie ou non, aux lieux et aux événements où ces expériences se sont ancrées. Par une description spécifique de ces évènements, on peut alors connecter des mots aux schèmes émotionnels. Toutefois, si le noyau affectif est en partie clivé du schème, il est possible d'atteindre ce noyau non pas de façon directe par accès verbalement exprimé au schème, mais via des associations périphériques, parfois involontaires.
L'apport des neurosciences sur les 15 dernières années
En complément des travaux de Bucci relativement anciens maintenant, de nombreuses études en neurosciences sur ces quinze dernières années viennent à l'appui de ce qui est vécu dans le processus psychothérapeutique. Sans entrer dans le détail, je vais citer ici juste certaines ressources.
Tout d'abord les travaux sur les neurones miroirs de Rizollati. Les travaux princeps remontent à 1996 et ils ont montré que l’apprentissage et la compréhension des actions des autres se font grâce à un processus d’imitation. Plus récemment en 2006, d'autres études ont mis en évidence qu'il n'est possible de comprendre le sens et les intentions de l'autre dans ce qu'il fait que si on l'imite et reproduit dans notre corps son action (Rizzolatti & Sinigaglia, 2006). Gallese désigne ce processus sous l'appellation de “simulation incarnée” (embodied simulation”) (Gallese 2005b ; Gallese et al., 2006). D’autres phénomènes importants sont rendus possibles grâce à ce mécanisme de la simulation incarnée dû aux neurones miroirs et plus spécifiquement ce qui m'intéresse ici, l'empathie. Lorsque nous observons un état émotionnel chez quelqu’un d’autre, nous pouvons le comprendre en nous mettant à sa place car nous partageons, dans notre corps, ce qu'il ressent.
Le Doux (1998, 2003) a réalisé des études sur le “cerveau émotionnel”. Il y reprend les travaux de Kandel sur l'existence de deux types de mémoires : l'une implicite et l'autre explicite. La mémoire implicite renvoie essentiellement à une mémoire affective, émotionnelle, liée à des perceptions somatiques (celles de l'enfant jusqu'à ses deux ans). La mémoire explicite est quant à elle une mémoire déclarative et sémantique (opératoire vers l'âge de 18 mois). Pour lui, la mémoire implicite est surtout influencée par des événements et par des expériences émotionnelles dont le souvenir (affectif) régit la conduite, sans une conscience explicite de ce qui s'est passé. Certaines connexions de cette mémoire implicite peuvent être à l’origine de réponses émotionnelles qui sur le moment sont incompréhensibles (Le Doux 1998).
Les mouvements thérapeutiques auxquels on assiste en tant que thérapeute ont manifestement des substrats neurophysiologiques. Selon Onnis (2009), "... la plasticité du cerveau est capable de produire de nouvelles synapses (Kandel, 1999, 2008) au terme du processus psychothérapeutique qu’on commence à identifier grâce aux techniques de neuro-imagerie".
Pour plus d'informations sur le sujet, il est possible de consulter directement l'article de Luigi Onnis (2009) https://www.cairn.info/revue-cahiers-critiques-de-therapie-familiale-2009-2-page-65.htm?contenu=article selon lequel "Les découvertes des neurosciences nous offrent l’image d’un homme biologiquement prédisposé à l’intersubjectivité et à la « relationnalité »."
Je termine par une citation de Damasio (1995, p. 25) qui me parle tout particulièrement par l'imbrication corps-esprit indémêlable qu'elle vient illustrer "L'âme respire à travers le corps, et la souffrance, qu'elle provienne de la peau ou d'une image mentale, a lieu dans la chair".