Dans une perspective de transmission, je réalise actuellement une série d’interview auprès de personnes rencontrées durant mon parcours de formation dans l'Approche Centrée sur la Personne (ACP). Christine Blervaque (www.femmes-en-mouvement.fr) exerce la psychothérapie en cabinet sur Marseille. Elle a accepté de témoigner sur ce que l’ACP représente pour elle, sa rencontre avec l’approche, ce qu’elle a pu ou continue de lui apporter et sur sa pratique en tant que professionnelle du soin psychique.
Les origines de son activité thérapeutique ?
Comment en es-tu arrivée à l'ACP ?
J’ai commencé mon parcours de thérapeute par une formation en Sensitive Gestalt Massage® (SGM) avec Ulla Bandelow, la fondatrice de cette approche psycho-corporelle, qui associe le massage et les principes relationnels de la Gestalt. Une séance de SGM commence par un premier temps d’échange verbal (premier contact), un massage personnalisé aux besoins de la personne (plein contact) puis un temps de feed-back qui permet d’exprimer les ressentis, les émotions, l’émergence d’éventuels souvenirs, etc… C’est une méthode merveilleuse de bien-être ou de reconnexion à son corps quand celui-ci a souffert.
Cette première expérience a révélé un besoin d’aller plus en profondeur dans l’accompagnement thérapeutique. Je me suis alors mise en quête d’une formation complémentaire. J’aurais pu naturellement me tourner vers la Gestalt thérapie mais cette approche m’est apparue trop confrontante, d’un point de vue personnel. Lors de ma formation en SGM, j’avais été particulièrement interpellée et inspirée par une des formatrices dont la qualité de présence et de connexion à l’autre m’est apparue comme peu commune. Elle était formée à l’ACP que je ne connaissais pas encore. Sur ses conseils, j’ai lu « Le développement de la personne » de Carl Rogers. Le livre à peine refermé, je décidais de me former à cette approche dont le niveau d’humanisme me touchait profondément.
Qu'est-ce qui fait que tu t'es tournée à l'origine vers une formation au massage ?
A la suite d’un long parcours en entreprise, j’ai été licenciée. Plus jeune, je voulais être kiné mais un contexte familial difficile ne m’a pas permis de mener ces études. Libérée du monde de l’entreprise, je pouvais alors réfléchir à une reconversion et revenir à mes aspirations premières. Je ne pouvais pas refaire 4 années d’étude, mais je voulais faire un travail en rapport avec le toucher. J’ai découvert sur Internet le SGM et je me suis lancée dans cette approche que j’ai adoré pratiquer.
La construction de la thérapeute qu'elle est aujourd'hui
D'accord, je comprends. Donc après la formation Sensitive Gestalt Massage, tu t’es investie dans une formation ACP ?
Oui. Mon parcours s'est déroulé sur cinq ans. Je me suis enrichie de la philosophie de Carl Rogers, et j'ai adhéré aux principes de base de la qualité de présence du thérapeute, que je tente chaque jour d'appliquer. J'ai notamment touché du doigt ce que pouvait être une connexion profonde à l'autre. J'ai également fait la formation "Conversation avec le corps" animée par Régina Stamatiadis, une ancienne élève de Carl Rogers. Je dois dire que la formation ACP a aussi été thérapeutique pour moi, puisque je l'ai faite dans une période difficile de ma vie, en plein divorce. Les apprentissages et les qualités humaines et professionnelles transmises par les formateurs-trices m'ont soutenue tout au long de mon parcours. J'ai d'ailleurs beaucoup de reconnaissance à leur égard.
J'ai poursuivi ma reconversion, chahutée par les difficultés personnelles et matérielles. Je continuais ma pratique psycho-corporelle en cabinet, enrichie des apports de l'ACP, tout en assumant un travail alimentaire en entreprise. Je n'ai pas lâché, j'ai toujours maintenu, autant que j'ai pu, mon activité de thérapeute.
En 2015, un problème de santé m'arrête dans mon élan : un cancer au muscle de la cuisse. Difficile d'envisager la poursuite du SGM sur le plan physique. Aussi, la maladie m'a fait réaliser que le SGM me mettait dans un don de soi tel, qu'un déséquilibre s'était installé entre ce que j'offrais à l'extérieur et ce que je donnais à moi-même et aux miens. Forte de mon parcours ACP, j'ai pu permuter mes accompagnements thérapeutiques sur un mode verbal. Mais l'unique pratique de l'ACP me mettait de plus en plus face à une difficulté : j'avais du mal à percevoir l'efficacité de mon travail sur certaines personnes qui se "complaisaient" dans une écoute empathique. Quelque chose me manquait, et l'idée de partir dans des suivis de longue durée ne m'allait pas vraiment.
La demande thérapeutique évoluait aussi en ce sens, et de nouvelles approches de thérapie courtes émergeaient. Je me suis alors intéressée à la communication non violente (CNV) de Marshall Rosenberg, disciple de Carl Rogers. La CNV c'est non seulement un outil de communication, mais c'est aussi un outil thérapeutique très axé sur les besoins. Cette notion de besoin a été cruciale pour moi autant sur le plan personnel que sur le plan professionnel. Comme on dit, "il y a eu un avant et un après". C'est un outil très riche de connexion à soi et de gestion des conflits relationnels.
A l'issue de ma formation en CNV, sur les recommandations de ma formatrice, je me suis intéressée à la thérapie MOSAIC®, une méthode novatrice issue de l’EMDR (thérapie spécialisée dans les traumas), dont les résultats sont probants. Je me forme alors auprès de Stéphanie Khalfa, psychologue et chercheuse en neurosciences, experte en EMDR. Elle a développé ce concept de façon à proposer une thérapie moins exposante au traumatisme que l’EMDR. C’est nettement moins douloureux pour les patients et plus léger pour les thérapeutes, puisqu’il qu’il s’agit d’une thérapie solutionniste tournée vers ce que la personne souhaite vivre, plutôt que sur les causes de son problème.
Quand la thérapie MOSAIC® est bien menée, cela marche très bien. La méthode est assez cadrante et directive (ce qui m'a posé quelques difficultés au départ, eu égard au côté non directif de l'ACP). Elle est basée sur un protocole comprenant un entretien guidé, la connexion aux ressentis corporels, et des mouvements de stimulation bilatérale alternés (à base de tapping, son ou mouvement oculaire) qui permettent d'agir sur les circuits neuronaux du traumatisme et permettent de nouveaux comportements plus en accord avec ce que veut vivre la personne.
Quand il y a Trouble de Stress Post traumatique, le trauma est inscrit dans une zone du cerveau ce qui va conditionner notre comportement (peurs, stratégies d'évitement, hypervigilance, contrôle, ...). Ces réactions programmées, pour répondre à la menace initiale, persistent dans des stratégies de comportement inconscientes et finissent par se retourner contre nous-mêmes car elles nous empêchent de vivre les nouvelles situations de vie sans le filtre du traumatisme. La thérapie MOSAIC® aide à déprogrammer ces schémas sur lesquels nous n'avons pas le contrôle. Il y a un protocole spécifique à chaque type de trouble : Trauma simple, dépression, Troubles Anxieux Généralisés, Addiction... traumas complexes.
Je pratique aussi le Focusing, développé par Eugène Gendlin, encore un disciple de Rogers ! C'est une méthode qui fait intervenir l'intelligence corporelle, en agissant au niveau du subconscient. Les résultats sont étonnants.
Rogers est donc le père de ma pratique. L'écoute empathique ACP est ma base première, avec pour fondements : le regard positif inconditionnel, la congruence et le rapport d'égal à égal. Ensuite, je jongle avec mes différents outils (CNV, Focusing, MOSAIC), ce qui me permet d'adapter ma pratique à chaque séance.
Ma philosophie est de rendre les personnes autonomes en associant efficacité et respect de leur rythme. Percevoir plus rapidement les effets positifs de mon accompagnement sur les personnes est plus satisfaisant. J'ai le sentiment de contribuer à plus de paix dans le monde et moins de souffrance dans une temporalité raisonnable.
J'ai choisi de mettre l'essentiel de mon énergie professionnelle dans l'accompagnement des femmes car derrière une femme, il y a souvent une mère. Plus la femme prend soin d'elle, plus elle est disponible et joyeuse avec ses enfants.
Est-ce qu'il y a autre chose ?
Ah oui j’allais oublier ! Ma dernière formation en date est un Diplôme Universitaire de la Faculté de médecine d’Aix-Marseille. J’ai eu la chance incroyable d’intégrer cette formation sur les psycho-traumatismes. Bien que le psychotrauma devienne « à la mode » depuis sa reconnaissance en 2021 par le DSMV (la bible des psychiatres), il y en a encore très peu en France. Pour le moment, la formation des professionnels de la santé mentale n’y consacre que quelques heures. Ce diplôme m’a enrichie sur les repérages du Trouble de Stress Post traumatique et ses différentes prises en charge. C’est ma seule formation universitaire en psychologie ! J’ai fait mon mémoire sur les Violences Educatives Ordinaires, quand elles génèrent un psychotrauma complexe, un sujet universel et passionnant.
L'émergence de son style psychothérapeutique
Au travers de ce que tu me dis, j’entends bien ta trace de thérapeute, ton style, ton besoin d’aider au mieux les autres et la recherche de moyens pour cela, est-ce juste ?
En fait, je n’ai pas cherché. Cela s’est présenté à moi au fur et à mesure de mes rencontres. Je n'ai jamais cessé de me former dans l'approche humaniste. C’est mon fondement. Les choses se sont mises sur mon chemin d’évolution et aujourd'hui je me sens alignée dans ma pratique.
Mixer l’ACP et la thérapie MOSAIC® n’a pas été évident au départ. J'arrive dorénavant à m’accorder. Si la diversité de mes outils est très intéressante, ma base est bien celle que Carl Rogers m'a transmise. J’ai une profonde reconnaissance pour ce qu’il a apporté au monde, et pour ses disciples qui ont complété et diversifié son approche. Il aurait mérité son prix Nobel de la paix pour lequel il a été pressenti juste avant de nous quitter.
La thérapie Mosaic fait appel aux TCC (Thérapies Cognitives Comportementales) ?
Oui, en partie. Dans les recadrages, et dans les tâches stratégiques que l'on demande entre deux séances.
Merci à toi Christine.
En te parlant, je mesure la cohérence de mon parcours et ça fait du bien ! Merci à toi aussi Fabienne !